La maison se trouvait au bord de la forêt — sombre, penchée, avec des tuyaux rouillés et une clôture effondrée.
Sam y vivait depuis vingt ans, sortant rarement au village. Parfois, au magasin, on lui demandait :
— C’est vrai que tu as un ours ?
Il répondait simplement :
— C’est vrai. Mais il n’est pas à moi.
L’ours vivait derrière la maison, dans un enclos fait de vieux troncs solides. Il s’appelait Tim — grand, avec un pelage terni et des yeux fatigués. Il avait au moins vingt ans, peut-être plus. Les gens avaient peur de s’approcher, mais Sam ne fermait pas la porte à clé. Il savait simplement que Tim ne partirait pas.
Ils vivaient côte à côte, comme des voisins. Sam le nourrissait de bouillie, de restes de poisson, de pain. Parfois, il s’asseyait en face de lui, sur une souche, et disait :
— Tout va bien, Tim. Encore un peu, et ce sera l’été.
L’ours grognait doucement, comme s’il répondait.
Autrefois, il y a longtemps, Sam travaillait dans un cirque. Il s’occupait des animaux — les nourrissait, nettoyait les cages, réparait les grilles. Puis un numéro a mal tourné. Un ours, jeune, s’est échappé de sa cage, paniqué, et a foncé dans la salle. Il y eut des cris, du chaos, de la panique. Ce jour-là, la dresseuse est morte.
Elle s’appelait Lena.
Après ça, le cirque s’est dissous. Sam est parti, incapable de supporter tout ça. Il a emmené le petit ourson — le seul qu’on n’avait pas encore replacé. Il a dit qu’il l’avait acheté, mais personne n’a vérifié. Il l’a juste pris et a disparu.
Depuis, il vivait à l’écart, avec Tim. On disait qu’il était fou, qu’il buvait, qu’il s’était ensauvagé. Mais ceux qui le connaissaient savaient : il ne buvait presque pas. Le soir, il s’asseyait à la fenêtre et écoutait la respiration de la bête derrière le mur.
Un jour de printemps, une journaliste est venue — jeune, en doudoune, avec une caméra.
— J’écris sur vous, dit-elle. On raconte que vous gardez un ours. Pourquoi ?
Il resta silencieux un long moment, puis répondit :
— Parce que c’est moi qui aurais dû mourir ce jour-là. Pas elle.
La journaliste fronça les sourcils.
— Vous étiez sur la piste ?
Il hocha la tête.
— Elle aimait ce petit ours. Chaque soir, elle le caressait avant de partir. Alors je n’ai pas pu le laisser. C’est tout ce qu’il reste d’elle.
Il dit cela calmement, sans plainte. Puis il se leva, ouvrit la porte de l’enclos. L’ours s’approcha lentement et posa sa patte sur le bord.
— Vous comprenez, — ajouta Sam, — il ne l’a pas tuée. Il a juste eu peur.
Et il sourit — doucement, presque tendrement.
Quand la journaliste repartit, elle jeta un coup d’œil dans le rétroviseur : le vieil homme était là, debout, près de l’enclos, et l’ours assis en face. Deux survivants du même jour.
Un peu plus loin, son photographe l’appela :
— Tu ne vas pas me croire, dit-il. J’ai regardé les vieilles photos du cirque. Cet ours, c’est le même. Il avait une tache blanche sur la poitrine, en forme de cœur.
— Et alors ? — répondit-elle, fatiguée.
— Celui-là l’a aussi. Exactement la même. Seulement, il est vieux maintenant.
Elle ne répondit pas. Éteignit le téléphone.
Dans le miroir, la forêt s’éloignait, et on distinguait encore deux silhouettes — un homme et une bête.
Et soudain, tout devint clair : parfois, la culpabilité vit plus longtemps que l’amour.

